... parce-que l'un et l'autre sont un sujet inépuisable

vendredi 24 septembre 2010

Quand les marrons glacés se font polissons...


   Parce-que les jolis mots subliment le plaisir de manger, c'est l'occasion de considérer la place de la cuisine dans la littérature!





                                                                                                               source



   Extrait de Bel-Ami (1885), Guy de Maupassant (1850-1893) :

 
   Du Roy remonta jusqu’au boulevard extérieur. Puis, il redescendit le boulevard Malesherbes qu’il se mit à suivre à pas lents. En passant devant un pâtissier, il aperçut des marrons glacés dans une coupe de cristal, et il pensa : « Je vais en rapporter une livre pour Clotilde. » Il acheta un sac de ces fruits sucrés qu’elle aimait à la folie. A quatre heures, il était rentré pour attendre sa jeune maîtresse.
   Elle vint un peu en retard parce que son mari était arrivé pour huit jours. Elle demanda :
« Peux-tu venir dîner demain ? Il serait enchanté de te voir.
-         Non, je dîne chez le Patron. Nous avons un tas de combinaisons politiques et financières qui nous occupent.
   Elle avait enlevé son chapeau. Elle ôtait maintenant son corsage qui la serrait trop.
   Il lui montra le sac sur la cheminée :
« Je t’ai apporté des marrons glacés. »
   Elle battit des mains :
« Quelle chance ! comme tu es mignon. »
   Elle les prit, en goûta un, et déclara :
« Ils sont délicieux, je sens que je n’en laisserai pas un seul. »
   Puis elle ajouta en regardant Georges avec une gaieté sensuelle :
« Tu caresses donc tous mes vices ? »
   Elle mangeait lentement les marrons et jetait sans cesse un coup d’œil au fond du sac pour voir s’il en restait toujours.
   Elle dit :
« Tiens, assieds-toi dans le fauteuil, je vais m’accroupir entre tes jambes pour grignoter mes bonbons. Je serai très bien. »
   Il sourit, s’assit, et la prit entre ses cuisses ouvertes comme il tenait tout à l’heure Mme Walter.
   Elle levait la tête vers lui pour lui parler, et disait, la bouche pleine :
« Tu ne sais pas, mon chéri, j’ai rêvé de toi, j’ai rêvé que nous faisions un grand voyage, tous les deux, sur un chameau. Il avait deux bosses, nous étions à cheval chacun sur une bosse, et nous traversions le désert. Nous avions emporté des sandwichs dans un papier et du vin dans une bouteille, et nous faisions la dînette sur nos bosses. Mais ça m’ennuyait parce que nous ne pouvions pas faire autre chose, nous étions trop loin de l’autre, et moi je voulais descendre. »
   Il répondit :
« Moi aussi je veux descendre. »
(…)
   Mais elle avait mangé tous les marrons. Elle écrasa le sac entre ses mains et le jeta dans la cheminée. Puis elle dit : « Allons nous coucher. » Et sans se lever elle commença à déboutonner le gilet de Georges.

Source : pages 321-323, éditions Pocket 2006

2 commentaires:

  1. Je découvre ton blog et je le trouve très sympa ! Merci !

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  2. Merci pour cet encouragement! Je commence tout juste... :)

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